mardi 11 octobre 2016

C'est arrivé près de chez vous


« Le Citizen Kane belge. » Le compliment pourrait sembler abusif mais il n'est pas loin de la vérité, tant le culte autour du film de Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde fait toujours rage. Plus de vingt ans après son accueil triomphal au festival de Cannes 1992, ce faux documentaire sur un serial killer belge et méchant surprend encore par la puissance dévastatrice de son cynisme. Et encore plus par la prescience de son discours sur le « devenir poubelle » de la télévision. Même s'ils ne le reconnaîtront jamais, les frères Dardenne (et en particulier leur Promesse) doivent beaucoup au vent de liberté que fit souffler le trio sur le cinéma belge, qui se résumait alors au formalisme hiératique de Chantal Akerman et à l'académisme tiède d'André Delvaux. Filmé en noir et blanc, en 16 mm, dans les rues de Namur, par trois étudiants en cinéma qui apparaissent à l'image, C'est arrivé près de chez vous tire son titre de la rubrique des chiens écrasés du quotidien belge Le Soir. Le fait divers fait vendre ? Eh bien, prenez ça dans les dents : à l'écran, trente-trois meurtres au hasard, dont un facteur, des vieux et un enfant, un viol immonde, une leçon de lestage de cadavres et une tournée de « petit Grégory » (une olive ligotée à un sucre dans un verre de gin-tonic) pour tasser.Jean Roy, délégué général de la Semaine de la critique en 1992, se souvient avoir reçu un coup de fil d'un ami belge si enthousiaste qu'il se fait projeter le film le lendemain et le sélectionne dans la foulée. A Cannes, tout le monde ne parle que du brûlot des trois jeunes Belges aux cheveux hirsutes. « Ce fut le plus gros décollage que j'ai connu, explique Jean Roy. Une adhésion immédiate. Il y avait bien des Tartuffes pour crier que les limites du bon goût avaient été franchies, mais c'était marginal. Avec sa faconde et son charme, Poelvoorde mettait les journalistes dans sa poche. Il est même reparti avec ma secrétaire, Coralie, qu'il a épousée par la suite. »


                   


Le film rafle le prix SACD, le prix de la critique internationale et le prix spécial de la jeunesse. A Cannes, le trio, qui n'a dessoûlé qu'en rentrant à Namur, signe un contrat avec un vendeur margoulin. Ce qui n'empêchera pas le film d'être un succès historique en Belgique et dans la plupart des vingt-sept pays où ses auteurs l'ont présenté. « C'est le seul film que je connaisse où tout le monde a bossé gratuitement et continue de toucher un pourcentage », ironise Poelvoorde.Rémy et Benoît se sont rencontrés au lycée, André et Rémy à l'Insas, l'école de cinéma de Bruxelles. En 1988, le trio réalise un court métrage, Pas de C4 pour Daniel Daniel (le C4 étant le formulaire de licenciement en Belgique), qui se présente comme une longue bande-annonce d'une parodie de James Bond. Une succession de gags caustiques, sans queue ni tête, avec des scènes dans la jungle (tournées dans les serres royales de Bruxelles), un vaisseau spatial (qui n'est autre que l'intérieur de l'Atomium), des pagodes chinoises (comme il en existe de superbes en Belgique), et Poelvoorde en agent secret ridicule.

                 


Ayant fait la preuve de leur capacité à faire un film d'espionnage pour le prix d'une chope de Jupiler, Rémy Belvaux (par ailleurs frère cadet de Lucas) présente un solide projet de film de science-fiction en guise de court métrage de fin d'études. Mais l'Insas refuse de le financer, alors même que le décor, à base de machines à laver déglinguées, a déjà été construit par ses soins. Furieux, Rémy se promet de tourner un long métrage en cinq jours pour prouver à ses crétins de profs qu'il en veut. Comment faire un film sans argent et en un temps record ? En imitant les reportages de l'émission Strip Tease, qui faisait fureur à l'époque sur la RTBF. L'idée étant de dénoncer le voyeurisme de cette télé de la fin des années 80 et la course à l'audimat avec ses sordides reality shows. Mais, au lieu de choisir un péquenot ou un fan de tuning comme dans Strip Tease, Rémy a le génie de documenter la vie quotidienne d'un tueur en série cabotin et porté sur le houblon.

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